Les gens heureux n’ont pas d’histoire
C’est du moins ce que l’on prétend
Le blé que l’on jette au blutoir
Les boeufs qu’on mène à l’abattoir
Ne peuvent pas en dire autant
Les gens heureux n’ont pas d’histoire
C’est le bonheur des meurtriers
Que les morts jamais ne dérangent
Il y a fort à parier
Qu’on ne les entend pas crier
Ils dorment en riant aux anges
C’est le bonheur des meurtriers
Amour est bonheur d’autre sorte
Il tremble l’hiver et l’été
Toujours la main dans une porte
Le coeur comme une feuille morte
Et les lèvres ensanglantées
Amour est bonheur d’autre sorte
Aimer à perdre la raison
Aimer à n’en savoir que dire
A n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la couleur du partir
Aimer à perdre la raison
Ah c’est toujours toi que l’on blesse
C’est toujours ton miroir brisé
Mon pauvre bonheur, ma faiblesse
Toi qu’on insulte et qu’on délaisse
Dans toute ta chair martyrisée
Ah c’est toujours toi que l’on blesse
La faim, la fatigue et le froid
Toutes les misères du monde
C’est par mon amour que j’y crois
En elle je porte ma croix
Et de leurs nuits ma nuit se fonde
La faim, la fatigue et le froid
NB : « Aimer à perdre la raison », la chanson de Jean Ferrat provient d’un poème d’Aragon, « La croix pour
l’ombre », extrait des « Chants du Medjnoûn », recueil de poèmes
composés par le personnage principal du grand poème Le Fou d’Elsa
(1963). Dans l’ouvrage d’Aragon, il est l’un des rares poèmes de ce
recueil fictivement inséré dans ce monstrueux poème à ne recevoir aucun
commentaire, comme s’il allait de soi. La chanson fabriquée en 1971 par
Jean Ferrat à partir de ce poème, qu’il confia ensuite à Isabelle
Aubret, en reprend les trois dernières strophes.
Ferrat en choisit une, la première, celle qui
condense le plus clairement la thématique développée par l’extrait et
dont la répétition affiche le mot d’ordre, de la même façon que d’autres
refrains choisis par Ferrat ont popularisé d’autres mots d’ordre
d’Aragon (« Un jour viendra couleur d’orange », « Que serais-je sans
toi », etc.), et fait alterner autour de cet hexasyllabe les deux
strophes suivantes, couplets amputés de la reprise de leur dernier vers.
L’infinitif descriptif « Aimer à perdre la raison », où le poète parle
de ce qu’il appellera l’année d’après « le malheur d’aimer » devient
ainsi, sous la musique de Ferrat, un idéal, sinon une prescription, dans
les années qui suivent immédiatement celles du « Flower Power »
anglo-américain.
La thématique développée par ces trois première
strophes absentes de la chanson est la même que celle du « mot d’ordre »
du refrain : « Aimer à perdre la raison », celle de l’amour-passion,
qui loin d’apaiser et de satisfaire celui qui l’éprouve, lui fait perdre
sérénité et bien-être, mesure et discernement. .
Reste que le succès populaire de cette chanson, qui doit une énorme part
au lyrisme de sa mise en musique et de ceux qui l’ont portée, ne va pas
de soi : extraites de leur contexte, reconnaît-on dans les strophes
devenues les couplets de cette chanson le blasphème prononcé par le
Medjnoûn et par ses interprètes successifs ? Ce blasphème est celui d’un
homme porté par l’amour pour sa femme comme les croyants ont à l’être
pour le Christ, qui proclame que c’est la divinité qu’il aime que l’on
fait souffrir à chaque fois qu’il est porté atteinte à une vie sur
terre, et qu’il peut supporter la souffrance dans la mesure où elle
trouve un sens dans l’existence de la divinité qui est son but et son
chemin...
Toujours est-il qu’au XXIe siècle, en France, on peut encore blasphémer
sur les ondes au nom de l’amour, c’est si beau et si rassurant...
Hervé Bismuth
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021
1. Par UneMarseillaise le 18/05/2016
Bonjour, demain je dois passer en oral sur ce poème, mais j'aimerais savoir de quoi parle t'il je ne ...
2. Par UneMarseillaise le 18/05/2016
Bonjour, demain je dois passer en oral sur ce poème, mais j'aimerais savoir de quoi parle t'il je ne ...
3. Par ruan le 27/04/2016
nous n'arrivons pas à lire le coté Français de la page traduction du provençale dommage
4. Par Ihssane le 20/04/2016
Woow c'est magnifique